Strabisme

Qu’est-ce que le strabisme ?

Le terme « strabisme » est tiré d’une racine grecque qui suggère une torsion. Galien l’utilisait déjà pour la déviation des yeux par rapport à leur axe habituel. Est atteint de strabisme tout sujet qui ne parvient pas a fixer avec ses deux yeux une cible, dans le regard de face ou excentré. Le strabisme peut s’associer ou non à une limitation des mouvements oculaires. Il est constant ou intermittent. La déviation peut être horizontale, en convergence (« ésotropie ») ou en divergence (« exotropie »). Des déviations verticales ou obliques peuvent s’y associer, voire exister de façon isolée. Son étude et son traitement relève de la strabologie, spécialité à l’intérieur du domaine ophtalmologique qui concerne aussi les paralysies oculomotrices et les mouvements anormaux des yeux (comme le nystagmus).

ATTENTION ! Chez l’enfant, le strabisme n’est pas uniquement une anomalie qui amènerait un simple préjudice esthétique. Il fait courir le risque d’une « amblyopie » (étymologiquement : « vision émoussée »), c’est-à-dire d’une malvoyance de l’œil dévié, qui perd rapidement ses capacités visuelles, par manque de stimulation normale.

Les mouvements des yeux dans l’orbite résultent de l’action des « muscles oculomoteurs », qui sont au nombre de six pour chaque oeil : quatre muscles « droits » (deux droits horizontaux et deux droits verticaux) et deux muscles « obliques » (un « oblique inférieur » et un « oblique supérieur »). Chacun de ces muscles peut avoir plusieurs actions, qui varient selon la direction du regard, ce qui rend complexe l’étude des mouvements oculaires.

Par ailleurs, ces muscles sont reliés entre eux et au globe oculaire par un tissu de structure composite (collagène / élastine / fibres musculaires), appelé « capsule de Tenon ». Ce tissu joue un rôle important dans la statique et la dynamique des yeux. Les muscles oculomoteurs sont innervés par des nerfs dont l’origine se situe dans le tronc cérébral, en avant du cervelet. La vision humaine se caractérise par l’existence d’une « vision binoculaire », qui résulte de la position frontale des yeux, mais qui impose d’avoir une vision correcte de chaque œil et un fonctionnement normal des structures neurologiques intra-cérébrales, pour la fusion des images monoculaires. La vision binoculaire possède différents degrés de raffinement, dont le plus achevé est la vision du relief ou « stéréoscopie ».

Le domaine de la strabologie

L’ophtalmologiste spécialisé en strabologie prend en charge des patients atteints de strabisme, de paralysie oculomotrice ou de mouvements anormaux des yeux. Le symptôme peut être apparu dès la naissance (« congénital »), ou au contraire s’être installé au cours de la vie (« acquis »), ce qui le conduit à examiner tout autant des adultes que des enfants. Mais son rôle ne se limite pas à l’analyse locale des troubles oculomoteurs. En effet, l’œil n’est pas un organe isolé : il est directement en relation avec le système nerveux central, par l’intermédiaire du nerf optique et des nerfs oculomoteurs. De plus, l’œil exprime la plupart des dysfonctionnements de l’ensemble de l’organisme.

Tous les symptômes oculomoteurs, qu’il s’agisse d’un strabisme, d’une paralysie oculomotrice, d’un nystagmus ou autre, peuvent être le symptôme (révélateur ou non) de situations pathologiques : maladies générales, anomalies intra-cérébrales, orbitaires ou oculaire. Pour cette raison, le strabologue est amené à travailler en collaboration avec d’autres médecins (pédiatre, neurologue, endocrinologue, cardiologue, etc.) et à prescrire des examens complémentaires, en particulier de neuro-imagerie (Scanner RX, IRM). Il sera amené à prescrire aux orthoptistes des évaluations quantifiées des troubles oculomoteurs. Enfin, dans beaucoup de cas, le strabologue dispose de solutions thérapeutiques, non seulement par une correction optique (avec ou sans prismes), mais aussi par chirurgie.

Le strabisme chez l’enfant

Chez l’enfant, quelle que soit la variante de strabisme, la prise en charge passe par des grands principes sur lesquels s’accordent tous les strabologues :

  • rechercher systématiquement une maladie générale dont le strabisme ne serait qu’un symptôme révélateur ou tenir compte de toute affection déjà connue
  • vérifier que toutes les structures oculaires sont normales (segment antérieur, fond d’œil)
  • vérifier sur chaque œil la qualité de la vision, par des tests adaptés à l’âge
  • si elles existent, corriger complètement les anomalies optiques des yeux (hypermétropie ou myopie, astigmatisme) par des lunettes, même chez un nourrisson de quelques mois. – commencer la prévention ou le traitement de l’amblyopie secondaire au strabisme, par une occlusion de l’œil sain, qui déclenche une stimulation de l’œil dévié

ATTENTION ! Cette étape ne peut se réaliser de façon objective qu’en ayant paralysé l’accommodation, par des instillations préalables de gouttes « cycloplégiques » : selon l’âge, on utilise de l’atropine ou du cyclopentholate.

Le strabisme chez l’adulte

Commencer la prévention ou le traitement de l’amblyopie secondaire au strabisme, par une occlusion de l’œil sain, qui déclenche une stimulation de l’œil dévié.

Le « strabisme congénital » ou « précoce »

Par définition, le « strabisme congénital » (ou « strabisme précoce ») est présent dès la naissance ou les premières semaines de vie, mais peut se révéler seulement dans les premiers mois. Il s’agit presque toujours d’un strabisme convergent, et exceptionnellement divergent. Il est uni- ou bilatéral et correspond à un dysfonctionnement précoce dans la mise en place de la vision binoculaire : chez ces enfants, il ne se développe pas de vision du relief. Il s’associe souvent à des déviations verticales (qui ne sont pas toujours remarquées par les parents) et/ou à des mouvements anormaux (secousses nystagmiques, voire véritable nystagmus). La prise en charge consiste à appliquer les principes généraux évoqués ci-dessus. Elle vise à obtenir une « alternance du strabisme » après correction optique par les lunettes. Ces dernières peuvent être suffisantes pour atteindre le but recherché et éviter une intervention chirurgicale. Parfois, il faudra ajouter une injection de toxine botulique pour détendre les muscles contracturés ou pratiquer une opération à un âge variable selon la gravité du strabisme. On opère lorsque le strabisme est bien alternant, que l’acuité des yeux est symétrique et que l’angle de déviation, mesuré objectivement, est stable. Ces conditions ne sont guère réunies avant trois ans et demi. Aucun des traitements, chirurgicaux ou non, ne dispense du port des lunettes et de l’occlusion-stimulation (s’il existe encore un risque d’amblyopie).

Le « strabisme accommodatif » ou « à forte part accommodative »

Le « strabisme accommodatif » survient vers l’âge de 18 mois à 2 ans. À cet âge, et lors des jeux, l’enfant commence à solliciter la vision de près. Pour y parvenir, il utilise son « accommodation », d’autant plus fortement qu’il est souvent hypermétrope. Or il existe naturellement un réflexe qui lie ensemble l’accommodation et la convergence des yeux. Il se produit un excès de convergence, débouchant sur un strabisme, d’abord intermittent puis permanent. Comme dans le strabisme congénital, il existe un risque d’amblyopie d’un œil. Dans ces cas, la correction optique de toutes les anomalies réfractives (hypermétropie et/ou astigmatisme) peut permettre une guérison complète du strabisme. La vision binoculaire, si elle avait pu se développer avant le strabisme, est récupérée et peut évoluer normalement. Par définition, le port de la correction doit être poursuivi indéfiniment : le simple fait de retirer les lunettes déclenche une rechute du strabisme. Lorsque l’amélioration n’est que partielle en vision de près, il est parfois nécessaire d’utiliser des verres « à double foyer » pour obtenir une « surcorrection de près ». Dans d’autres cas, on doit en venir à une intervention chirurgicale, en raison d’un angle résiduel trop marqué. Comme précédemment, l’opération ne supprime pas la nécessité du port des lunettes.

Le « strabisme aigu »

Le strabisme aigu peut survenir à tout âge. Il s’installe d’un moment à l’autre ou en quelques jours, voire quelques semaines. Il est toujours convergent.

Il traduit plusieurs situations cliniques.

Le « strabisme aigu normosensoriel »

Chez l’enfant, il peut apparaître isolément ou dans un contexte d’angoisse ou de fièvre. Il est souvent précédé d’une sensation de diplopie. Contrairement aux autres cas, on ne retrouve pas de troubles réfractifs notables. Il s’agit d’un diagnostic d’élimination, qui demande une parfaite normalité des examens complémentaires, en particulier de l’IRM cérébrale. Si l’angle de déviation n’est pas trop important, on peut parvenir à le corriger par des prismes, avec le retour rapide d’une vision binoculaire. Ultérieurement, l’évolution se fait parfois vers une résolution spontanée, mais on est en général amené à traiter chirurgicalement la déviation. Chez l’adulte, on peut rencontrer une forme similaire.

Le strabisme aigu par décompensation d’un microstrabisme méconnu

Certains patients sont porteurs d’un strabisme congénital très peu marqué, et de ce fait méconnu, mais responsable d’une amblyopie unilatérale. À tout moment, ce strabisme peut s’aggraver, surtout en cas d’hypermétropie non corrigée.

Le passage brutal d’un strabisme intermittent (« ésophorie ») à un strabisme permanent

Le strabisme divergent

La forme permanente et congénitale du strabisme divergent est nettement plus rare que le strabisme convergent. La prise en charge est similaire, avec une recherche attentive d’une tumeur du tronc cérébral. Chez l’enfant plus âgé ou chez l’adulte, il existe aussi une forme intermittente, assez fréquente, où la vision binoculaire est présente lorsque les yeux sont en rectitude, alors qu’elle est perdue sitôt que l’un des yeux part en divergence.

Dans certains cas, le strabisme prédomine en vision de loin (ou en vision intermédiaire), et se remarque surtout lorsque le patient est détendu ou rêveur.

Dans d’autres cas, c’est dans la vision de près que la divergence s’accentue, simulant alors une paralysie de la convergence, pour laquelle on doit rechercher une cause neurologique.

Le traitement de cette forme intermittente est le plus souvent chirurgical, mais ne peut s’envisager qu’après le port prolongé de prismes, qui permet de trouver le meilleur compromis pour corriger les déviations différentes en vision de loin et de près. Il n’y a pas lieu de proposer une rééducation orthoptique, qui ne peut au mieux qu’agir sur la déviation en vision de près, sans traiter la déviation en vision de loin. En cas de « perte de la convergence », la rééducation orthoptique n’a pas non plus d’indication rationnelle.

Les strabismes malformatifs

Dans certains cas, on a pu démontrer que le strabisme relève d’une anomalie de développement des nerfs crâniens impliqués dans les mouvements des yeux. Lorsque le « noyau » d’un de ces nerfs n’apparaît pas pendant l’embryogenèse, le nerf correspondant ne se forme pas et le muscle qu’il devait stimuler se fibrose. Un ou plusieurs mouvements oculaires n’est plus possible, de façon définitive. Certains portent les noms des auteurs qui les ont découverts (syndromes de Stilling-Duane et de Brown) et d’autres sont désignés de façon plus descriptive (syndromes de fibrose musculaire).

On les regroupe maintenant dans le cadre des anomalies embryologiques à composante génétique, d’autant qu’ils sont parfois associés à d’autres malformations. L’IRM est nécessaire pour éliminer une tumeur du tronc cérébral dans les formes non-familiales. La prise en charge est identique à celles des autres strabismes : on n’opère qu’en cas de déviation persistante dans le regard de face, en sachant que la motilité oculaire ne sera pas améliorée.

Auteur

Dr Béatrice ROUSSAT, service du Pr Jean-Philippe NORDMANN

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