Pierre Bordry, ancien Président du Conseil d’Administration de l’Hôpital des Quinze-Vingts nous a quittés le 22 Janvier 2024, à l’âge de 84 ans. Son action pour notre établissement a été déterminante. Le reste de son parcours professionnel et de son action au service de l’intérêt général et de notre pays est au moins aussi remarquable.
Pierre Bordry était très attaché du côté de sa mère à Benodet et Quimper où il a passé les années de guerre et où il aimait se rendre pendant les vacances. Il était le deuxième d’une famille de 6 garçons. Son père était un industriel de Puiseaux (Loiret) et maire du village pendant un temps. Il a été pensionnaire au Collège d’Avon puis a étudié à l’ESSEC dont il a fondé les Mardis. Il a très tôt découvert et parcouru les Etats-Unis.
C’était un homme de réforme, un homme d’action avec une pratique du pouvoir dans le respect des libertés fondamentales. Il a rencontré, par l’intermédiaire de Joseph Fontanet, Jean Lecanuet dont il a été Chef de Cabinet pendant sa campagne présidentielle en 1965, lors de laquelle il connut son épouse, formée à Sciences Po.
Très actif au sein de la démocratie chrétienne il a été très actif contre plusieurs dictatures (le Chili de Pinochet, l’Espagne de Franco, le Portugal d’avant la démocratie, le Venezuela,..). Il a œuvré pour Robert Kennedy, suivi les primaires aux USA, et travaillé au Sénat américain dans les années 70.
Il a travaillé pendant 23 ans au Sénat auprès d’Alain Poher, successivement Président de Groupe puis du Sénat, en tant que secrétaire général du groupe, puis Chef et Directeur de Cabinet). Convaincu de l’importance de préserver le bicamérisme pour l’équilibre des pouvoirs, il était très attaché au principe du respect du travail législatif des deux chambres. Il était profondément pragmatique et centriste, ce qui a conduit sa pensée et son action pour l’Europe.
Ses fonctions auprès d’Alain Poher se sont poursuivies lors des deux intérims de la Présidence de la République en 1969 et 1974.
Il est à l’origine de la loi sur l’interdiction des sondages pendant les 48H avant une élection en France pour protéger la libre opinion individuelle. Parmi ses actions il faut citer son soutien aux collectivités territoriales, son rôle dans l’organisation de la grande manifestation pour l’école libre, sa défense de la laïcité (circulaire sur le voile à l’École), la défense des libertés individuelles lors de son passage au cabinet du Ministre de l’Intérieur, ainsi que la rédaction du code de déontologie de la Police Nationale, ou son travail sur le découpage électoral
En 1987 il a été nommé au Conseil d’État – commission de l’intérieur ( projets de loi ) et contentieux. Dans ce cadre il a œuvré par exemple pour la recherche en Océanographie (Monaco), et le statut des congrégations. Il a présidé plusieurs autorités administratives indépendantes : taxe d’apprentissage, commission paritaire de la presse, équité sur le territoire de l’accès à l’information, protection du public sur les circuits de vitesse…
Nommé à la Présidence du Conseil d’Administration des Quinze-Vingts il impulse une véritable renaissance d’un établissement dont la survie et l’indépendance étaient menacées. Avec l’équipe de direction, la CME et surtout le Pr Laurent Laroche, il établit des accords avec l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris, et lance une politique de croissance et de développement universitaire sans précédent avec le renouvellement de l’ensemble des Chefs de Service, successivement les Pr Laroche, puis le Pr Jean-Philippe Nordmann, le Pr Christophe Baudouin (aujourd’hui Président de la CME), enfin le Pr José-Alain Sahel. Pendant cette période cruciale, la gouvernance de l’établissement est renouvelée et le projet d’Institut de la Vision se développe. Ayant travaillé constamment avec lui sur ce projet j’ai été impressionné par son pragmatisme, sa résilience, son refus de se plier à des directives qu’il trouvait absurdes, sa recherche de solutions constructives, aussi consensuelles que possible, mais aussi sa capacité de se battre pour ce qu’il estimait juste et important. Sans Laurent Laroche et sans lui, l’Institut de la Vision n’existerait pas. Il a été fier de son développement même s’il fut écarté de la présidence au moment du lancement effectif du projet.
Nommé président de la commission de lutte contre le dopage, il l’a transformée en agence pour garantir son indépendance. Il s’est illustré dans la défense des jeunes sportifs et dans sa lutte pour la réalisation de tests incontestables, menaçant par exemple l’icône Lance Armstrong, protégé par son aura. Cet épisode de sa carrière a été particulièrement vif, illustrant son engagement sans faille pour les valeurs qui l’animaient.
Très attaché à sa famille, très fier de ses filles, Pierre Bordry était un homme bon, pondéré, courageux, résolu, ouvert aux autres, tendu vers l’avenir. Son éthique et son énergie ont contribué à l’intérêt général, ont construit les Quinze-Vingts d’aujourd’hui, modernes, innovants, uniques.
Pr José-Alain Sahel