1ère étude de l’œil de souris en 3D par transparisation

Marie Darche et Anna Verschueren, de l’équipe du Pr Paques au CIC, viennent de publier une étude de l’œil de souris en 3D par la technique dite de transparisation, permettant de garder intactes les structures de l’œil. Il s’agit de l’étude la plus détaillée à ce jour des vaisseaux sanguins de l’œil de souris utilisant cette technique de pointe promise à un grand avenir pour les études sur l’œil humain. L’article a été publié fin octobre dans Communications Biology de la maison d’édition Nature. Entretien avec Marie Darche qui nous explique le processus de recherche et les perspectives pour l’Homme.

Pour comprendre l’étude, il faut revenir aux fondamentaux. Au sein du groupe Paris Eye Imaging (PEI) dirigé par le professeur Paques, il y a des médecins, des orthoptistes, des physiciens et informaticiens qui forment un groupe de recherche translationnelle autour de l’imagerie haute résolution. Lorsqu’ils imagent l’œil d’un patient, ces nouvelles technologies leur permettent de découvrir ou de suivre des phénomènes focaux dans l’œil, mais l’imagerie clinique ne permet pas d’identifier formellement ces phénomènes. C’est ainsi qu’une équipe de biologie – le groupe HistoParis – a été créée au sein du PEI afin d’aider à identifier leurs différentes observations (vaisseaux, cellules, pigments, etc.). Pour cela, l’équipe a débuté en utilisant des protocoles histologiques classiques (étude des tissus et de leurs structures).

« Les mêmes techniques sont utilisées depuis des dizaines d’années : l’œil est coupé en tranches – ou la rétine isolée – placées entre des lamelles. Nous nous sommes rendus compte que ces techniques classiques n’étaient pas suffisantes, car elles ne permettaient pas un recoupement clair avec les images cliniques obtenues sur les patients. De plus l’œil est un organe complexe, avec de nombreux tissus qui fonctionnent en 3D. Les vaisseaux en particulier, impliqués dans de nombreuses pathologies oculaires, demandent une approche dans l’espace et holistique », explique Marie Darche.

Les travaux ont démarré sur la souris. L’équipe fut la première à présenter l’œil de souris dans son ensemble au congrès de l’Association pour la Recherche en Vision et en Ophtalmologie (ARVO) en 2018. Un objectif : étudier le développement des vaisseaux sanguins depuis l’embryon jusqu’à l’âge adulte dans l’œil d’une souris, en 3D et sans disséquer l’œil. « Si les vaisseaux de la rétine sont assez bien connus chez la souris, le reste de la vascularisation est moins étudié. Dans notre papier, nous nous sommes concentrés sur des vaisseaux cruciaux mais assez méconnus : les vaisseaux hyaloïdiens. Ces vaisseaux existent dans le vitré de l’œil durant le développement du fœtus, apportant de l’oxygène au tissu pendant que la vascularisation adulte se met en place. Ils doivent ensuite régresser car leur persistance empêcherait le développement de l’œil. Leur présence, leur absence et la dynamique entre les deux sont donc cruciales pour le développement de l’œil adulte. Ils sont cependant détruits par toute dissection de l’œil : l’analyse par transparisation nous a donc permis d’obtenir les 1ères images de ces vaisseaux intacts, en 3D, à tous les stades de développement de l’embryon à l’adulte ».

Qu’est-ce que la transparisation ? Il s’agit d’une technique in toto, c’est-à-dire que l’échantillon est analysé en entier, une méthode développée dans l’étude du cerveau et du cancer. L’œil s’est longtemps présenté comme le seul organe résistant à cette technique, de par sa complexité, sa pigmentation, sa structure et sa fragilité.

« En histologie, nous utilisons des marqueurs fluorescents afin de cibler et identifier uniquement les cellules ou protéines d’intérêt. La transparisation va nous permettre de rendre le reste de l’œil transparent, afin de pouvoir imager facilement tous ces marqueurs fluorescents à l’intérieur du tissu. C’est un protocole basé sur l’utilisation de produits chimiques afin de se débarrasser de tout ce qui peut détourner la lumière d’un microscope dans un tissu, en particulier les lipides – comme ceux qui forment la membrane d’une cellule par exemple. Ils sont remplacés par une huile minérale, rendant l’échantillon transparent à la lumière et facile à imager ». Ce projet demande aussi l’utilisation d’un microscope à fluorescence particulier, les microscopes classiques n’utilisant qu’un seul rayon laser se déplaçant point par point dans l’espace et donc prenant beaucoup de temps. Pour un si grand échantillon, l’équipe HistoParis a donc utilisé le “Light sheet fluorescence microscope” (LSFM) de l’Institut de la Vision, aussi appelé microscope à feuillet de lumière. Sur ce microscope, le laser passe par une lentille pour se transformer en feuille de lumière, n’imageant donc plus un point par un point mais plan par plan. Ce qui aurait pris des semaines est désormais imagé entièrement en une heure.

 

En quoi cette étude est-elle inédite ? Qu’est-ce qu’elle apporte à la recherche ?

« C’est la 1ère fois que l’on voit ces vaisseaux sanguins du développement dans leur conformation originelle. C’est aussi la 1ère étude qui a concentré ses travaux uniquement sur le développement vasculaire de l’œil de souris ». Quelles sont les perspectives ? « Ce travail sur la souris n’était que le début du projet. L’équipe veut développer cette technique sur l’œil humain. Le but est d’utiliser cette nouvelle technologie pour imager dans leur intégralité des yeux humains de donneurs décédés, conservés dans ce que l’on appelle des « banques d’yeux ». L’œil est composé de tissus hautement spécifiques, avec leur structures et propriétés propres. Cette complexité a mené la recherche à se concentrer sur chaque tissu isolé du reste de l’organe. Or, les pathologies tendent à être bien plus complexes que cela, se révélant souvent multi-tissulaires ou avec des impacts sur l’organe entier (DMLA, glaucome, myopie, etc.). Les travaux sont donc en cours afin de mettre en place une imagerie grand champ et haute résolution de l’œil humain en histologie, afin de compléter la plateforme clinique du groupe Paris Eye Imaging et obtenir des études complètement translationnelles des nombreuses pathologies étudiées.” indique Marie Darche.

 

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